Je m’appelle Thomas Pagotto et je suis professeur des écoles. J’ai un parcours quelque peu atypique puisque j’ai fait des études de sciences politiques, et ai travaillé dans ce milieu pendant trois ans avant de devenir enseignant.
J’ai fini par passer le concours de professeur des écoles parce que je voulais agir au quotidien pour faire bouger les choses. Mon ambition, c’est d’œuvrer dans le sens de l’émancipation collective et de la lutte contre les inégalités. La maîtrise de la lecture, des raisonnements mathématiques et scientifiques sont précisément des exemples au potentiel émancipateur évident. A mes yeux, enseigner aux jeunes enfants c’est aussi leur donner des outils, des armes intellectuelles pour comprendre le monde qui les entoure, l’analyser, et éventuellement le changer s’ils le souhaitent !
« Aujourd’hui, les élèves doivent partir à la conquête d’un autre langage : celui de la programmation, du code ! »
Il y a quelques années, je ne connaissais rien à la tech mais j’avais la conviction qu’il était essentiel que les enfants comprennent mieux le numérique qui fait partie intégrante de leur vie. Je voulais qu’ils découvrent les coulisses d’un jeu vidéo, d’une application, d’un film d’animation, pour qu’ils ne restent pas de simples consommateurs de produits conçus dans la Silicon Valley. Je souhaitais qu’ils développent au contraire un esprit critique sur ce champ culturel omniprésent, qu’ils soient parfaitement outillés pour pouvoir non seulement choisir de manière éclairée, mais aussi poursuivre dans la voie du numérique s’ils le désiraient, et créer eux-mêmes des contenus au service de l’intérêt général.
L’Education Nationale a bien pris conscience de ces enjeux, et les programmes actuels permettent largement d’aborder ces sujets et de concevoir des modules ambitieux au service des apprentissages des élèves. C’est ainsi que j’ai plongé moi-même avec curiosité dans le numérique, avec un regard particulier sur la robotique éducative, les outils collaboratifs et… Minecraft !
J’ai découvert le site antique Alba Helviorum, quand j’ai déménagé en Ardèche en 2013. Le musée départemental a ouvert une semaine après mon emménagement et j’ai immédiatement pris contact avec l’équipe.

J’ai ainsi mené plusieurs projets avec eux, notamment l’écriture par mes élèves d’un « livre dont vous êtes le héros », en 2016. Alors que je réfléchissais à ce que je pouvais faire de plus, l’idée de reproduire la cité antique dans Minecraft m’est apparue l’année suivante. Je connaissais le jeu depuis longtemps, mais j’ai pris toute la mesure du potentiel pédagogique de l’édition Éducation à sa sortie. Cette version qui comprend un ensemble d’outils pour un travail collaboratif poussé des élèves sous l’encadrement de leur professeur a représenté un vrai déclic pour moi.
Ainsi est né le projet Albacraft avec le soutien de la Direction des services départementaux de l’éducation nationale (DSDEN) de l’Ardèche, du réseau Canopé régional, de la communauté de communes Ardèche-Rhône-Coiron et bien sûr du musée d’Alba-la-Romaine.
Albacraft a résolument associé la force de ce collectif et l’enthousiasme de 140 élèves accompagnés de leurs équipes enseignantes !

Albacraft Minecraft education
Pour découvrir les coulisses et tout le détail de ce projet de reproduction de la cité romaine dans Minecraft, c’est ici.
En savoir plus« Dans la révolution numérique que nous connaissons, les enseignants ont un rôle essentiel à jouer pour enrayer la reproduction sociale. »
Les intérêts pédagogiques d’un projet tel qu’Albacraft sont multiples. Au primaire, en cycle 3 (CM1, CM2), j’ai pu fixer des objectifs ambitieux, en accord avec les programmes et le socle commun. En mathématiques par exemple, l’usage de Minecraft suppose de maîtriser des notions d’échelle et de proportionnalité. D’habitude, ce sont des concepts difficiles à enseigner, parce qu’ils restent souvent abstraits pour les élèves. Avec Albacraft, la question s’est posée d’elle-même : comment passer de ces plans « vus d’en haut », tenant sur une feuille de papier, à un monde cubique en 3D à « la vraie taille » ? C’est un véritable processus de résolution de problème qui a poussé les élèves à construire par eux-mêmes (même si toujours guidés par l’enseignant) et à appréhender la notion de proportionnalité. Une fois comprise, la phase d’exercice et d’entraînement a été essentielle : à chaque fois qu’il fallait monter un nouveau mur, un nouveau segment de bâtiment, il fallait revérifier l’échelle du plan, repasser par le calcul (souvent des décimaux), contrôler son résultat ! Le projet a ainsi intégré un vrai transfert de compétences, rarement constaté dans mes classes précédentes. En cycle 2 (CP, CE1, CE2), j’ai abordé de façon originale des notions mathématiques parfois abstraites pour les élèves (repérage dans l’espace, bases de géométrie, et numération). En fonction du projet, l’outil donne également des clés pour traiter des programmes de science, d’histoire et de géographie. Et le français est incontournable que ce soit lors des échanges en classe ou pour la rédaction de dialogues de personnages ou de libellés de panneaux destinés au monde créé pour de futurs explorateurs.
« En-dehors de l’aspect purement disciplinaire, les élèves développent également des compétences transversales : collaboration, résolution de problèmes, créativité, esprit critique : autant de « soft skills » qui leur seront utiles tout au long de leur vie, y compris pour changer le monde ! »

Un aspect essentiel du projet Albacraft a aussi été de faire des élèves de véritables acteurs sociaux de leur territoire. En allant à la rencontre de chercheurs et d’artistes locaux, en visitant le musée départemental (souvent pour la première fois), et en s’occupant d’une partie de la journée de restitution (ateliers dédiés et visite virtuelle commentée en direct), les enfants ont enrichi leur culture personnelle et ont mieux appréhendé leur territoire dans la logique du parcours d’éducation artistique et culturelle du ministère.
Lorsque je réfléchis au prochain défi, j’aimerais maintenant pouvoir creuser cette voie en montant un nouveau projet tourné cette fois non pas sur la reconstitution du passé ou du présent mais sur l’invention de l’avenir : nous pourrions utiliser Minecraft Education pour imaginer la ville de demain, et ainsi réfléchir à l’habitat, à la fonction des différents espaces, aux transports, aux besoins de la population, tout ça en lien avec les programmes de géographie et d’éducation civique…
A suivre !